Il y a deux ans, Thierno était loin des siens de la Guinée, son pays d’origine. Motivé par le rêve d’abandonner la pauvreté, le jeune a décidé de partir loin du pays. Malmené par les effets négatifs de la migration irrégulière, il a bénéficié du programme de retour volontaire de l’organisation internationale pour les migrations (OIM). Thierno a subi toutes sortes de sévices corporelles et morales. Ce jeune clandestin a emmagasiné assez de souvenirs. Il a accepté volontier de nous livrer les coulisses de son périlleux voyage.
C’est à la fin du mois de juillet 2019 que Thierno a quitté la maison. Avec lui, une somme de 19.000.000 GNF qu’il a dérobée à son beau-père (actuel époux de sa mère). Direction Bamako, Tombouctou, Sévaré avant d’atteindre Bordj en Algérie.
Sa mésaventure ressemble à un film de science-fiction. Son vécu est pourtant une réalité.« Ce que j’ai traversé, je ne souhaite le pareil même à mon pire ennemi. C’était la première fois de voir un humain brûler son semblable à l’aide d’une barre de fer qu’il introduit dans le feu. Tous nus, il colle le fer rougi sur notre corps. A défaut, il utilise le courant électrique ou le fouet pour nous chicoter sur la pointe des pieds, pour nous rendre stérile.C’est très horrible», a-t-il entamé.
Des supplices, alors qu’il était au début de son périple. Rien ne pouvait le situer sur le sort qui lui était réservé. Dans le Sahara, il sont loin d’imaginer ce qui leur arrive lui et ses compagnons de circonstance. Le mauvais traitement infligé par les passeurs, la torture, la faim, la soif et le froid du désert et les serpents, voilà le mal auquel était confronté le jeune clandestin quand ils ont été arrêtés à Maghnia.
« Certains “tchapa” sont très mauvais. Quand ils nous ont pris, ils nous ont dirigé vers un lieu isolé pour nous dépouiller. Si nous leur disons que nous avons rien, ils en prennent un parmi nous et ils l’amènent vers un endroit clos. Ils égorgent un poulet puis viennent nous montrer le sang et le couteau taché de sang, pour nous faire peur. En voyant cela, nous donnons tout ce que nous possédons voire ce que nous avons caché dans nos caleçons. On pensait que nos amis étaient égorgés. Parfois ils nous obligent à appeler nos parents afin de leur demander de l’argent pour être libres», raconte Thierno.
Les “tchapa” sont les autochtones de la contrée où il était maintenu en détention, près de la frontière marocaine. Le visage froissé, la voix basse, ce jeune présente des séquelles qui peuvent être assimilées à des troubles mentaux à côté de ceux physiques. Quand il parle de ses bourreaux, c’est avec une colère qu’il s’exprime :
«Ils ne ressentent aucune pitié pour nous les clandestins. On encaissait des injures matin, midi et soir. D’autres étaient sacrifiés comme des bêtes sauvages. Une vie humaine ne compte pas pour ces gens de mauvaise foi. Notre force était réduite au silence pour notre survie et on n’avait pas où se plaindre. Depuis que j’ai quitté la Guinée, je n’ai jamais eu une paix intérieure. Aucun autre ne vous dira le contraire», soutient Thierno.
Ce jeune clandestin tenait à l’Europe et rêvait de devenir un grand footballeur. Il a tenté l’expérience à trois reprises mais elles se sont toutes soldées par des échecs. Il était obligé de faire des travaux pour se faire une santé financière: «Je pratiquais la maçonnerie, la peinture et le carrelage. Heureusement que les travaux de là-bas ne sont pas difficiles à maîtriser et ça génère beaucoup d’argent. Mais en un jour, les brigands peuvent retirer toutes nos épargnes et mettre à l’eau tous nos efforts», souligne t-il.
Au cours de sa pérégrination, ce jeune migrant a appris la vie et cela a été une école inoubliable pour lui. Épuisé par les châtiments qu’il a subi et victime de xénophobie, Thierno est abattu par la honte. Il ne compte plus aux yeux de sa famille et des voisins. C’est à peine qu’ils s’intéressent à lui.
Avant son retour en Guinée, le jeune a bénéficié d’une formation en entreprenariat avec l’OIM. Son seul souhait aujourd’hui, est de trouver une petite entreprise comme point de chute pour se réinventer.
MOHAMED DIAWARA