LIBRE AU SUD, ESCLAVE AU NORD
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LIBRE AU SUD, ESCLAVE AU NORD

C’est le même ciel, mais sûrement pas les mêmes réalités. Mon pays me manque ce soir plus que jamais. J’ai passé la journée allongée à même le sol après avoir reçu je ne sais plus combien de coups d’un homme qui m’était jusque hier complètement inconnu. Il m’a acheté comme un objet au marché d’esclave du coin. Nous sommes au XXIème siècle et oui l’esclavage existe encore!

En quittant le sud, je n’ai jamais même dans mes rêves les plus fous imaginer que j’allais devenir esclave au nord. Pour moi nous étions africains et frères mais hélas. La traversée fut longue et pénible. Je dus tout laisser derrière moi pour tenter le tout pour le tout.  Toutes mes économies y passèrent. Mais la traversée du Sahara que je redoutais tant se passa quasi bien . J’avais dans mon cœur cette soif de réussir, cette volonté et cette endurance et cela m’a rendu plus fort. 

Arrivé en Libye je me dis que j’avais fait le plus dur . Il ne me restait plus qu’à trouver des passeurs et à m’embarquer pour traverser cette mer qui me séparait du bonheur. Cependant rien ne se passa comme prévu. Tout se déroula vite ce soir-là. Alors que certains de mes compagnons de voyage et moi dormions dans un gîte trouvé par hasard, plusieurs hommes débarquèrent armés en criant très fort des mots dont on comprenait absolument rien. Nous étions en train de dormir et ce réveil nous brusque à un tel point que nul n’a pu réagir. Nous nous contentions de regarder cette scène en priant intérieurement pour qu’ils partent d’où ils sont venus . Mais non ils semblaient vraiment déchaînés. C’est alors que pistolet sous la tempe ils nous ligotèrent tous. Nous étions une dizaine de jeunes et eux beaucoup plus nombreux. Nous n’avions aucune chance face à leurs armes et nous le comprîmes.

Nous fûmes embarqués à l’arrière d’un camion pour une destination inconnue. Cela dura toute la nuit , nous n’eurent le choix que de continuer à dormir beaucoup trop fatigués pour attendre d’être fixés sur notre sort. Je n’étais pas désespéré mais j’avais peur , très peur de ce qui nous attendait.

Ils nous conduisent en silence vers un bâtiment ancien. Nous arrivâmes bientôt devant un genre de  cellule étroite et insalubre. C’est là que mon cerveau se remit à fonctionner. Je me dis qu’il fallait que je sorte de là alors je commençais à me débattre et à leur dire de me lâcher. Ils mirent fin à ma révolte avec un violent coup de matraque sur la tête puis me poussèrent dans la cellule avec tous les autres résignés avant de fermer bien la porte et de s’en aller. L’un d’entre eux se retourna et nous regarda en souriant, l’air satisfait.

Chacun de nous trouve une place pour s’asseoir et réfléchir à cette situation des plus drastiques et imaginés par nos jeunes esprits d’aventurier. Nous réalisâmes avec effroi que nous étions piégés tels des animaux en cage. 

Je m’étais trouvé une petite place au coin, à même le sol, la tête contre le mur. J’observai autour , tous mes compagnons étaient désespérés et pensifs . Nul ne pipait mot alors que le début de ce voyage fut magique pour tout un chacun. Le chemin bien que périlleux fût tout de même riche en discussion et en tissage de liens. Chacun avait parlé de son histoire, de ses rêves et de ses attentes et chacun avait trouvé un ami proche. Le mien avait le même nom que moi ,il s’appelait Moussa et venait d’une autre ville que je connaissais bien. Moussa et moi nous nous approchâmes à cause de notre nom commun. Nous nous appelions homonyme et nous discutions beaucoup en riant de bon cœur.  Il me parla de sa chère épouse Mariam et de leur fille qu’il a laissée derrière lui pour aller en Europe. Il m’en parlait l’air meurtri , je lui tapotait l’épaule en signe d’encouragement. Nous criâmes souvent ensemble au Niger et fîmes beaucoup d’invocations pour implorer l’aide du tout-puissant . 

Moussa fut un soutien pour moi, il écouta mon histoire et ne me jugea pas. Je lui dis que je n’étais pas né pauvre et que j’avais fait l’école mais que j’avais toujours eu un penchant pour le rêve européen. Je voulais réussir, vivre ma meilleure vie et très vite . Cela ne pouvait marcher qu’en tentant l’aventure. Il me tapota l’épaule et fit une prière touchante pour moi. Je le cherchai du regard dans cette cellule lugubre. Il était allongé au sol et semblait mal. Je me suis approché, il était brûlant de fièvre.

Moussa souffrit le martyre jusqu’au lever du soleil. Personne n’est venu nous voir et nous n’avions rien pour l’aider. Nous passâmes toute la journée à son chevet fatigués et affamés. Il nous réclame de l’eau en vain ,il n’y en avait pas.

C’est en plein milieu de la nuit que Moussa rendit son dernier souffle. Il ne put tenir. Tous nos cris de désespoir n’avaient servi à rien car personne ne vient nous voir. C’est quand tout le monde commença à sangloter et à crier que nos bourreaux se pointèrent. Ils se rendirent compte du décès et voulurent prendre le corps mais nous nous révoltâmes. Ils finirent par nous maîtriser et à amener le corps sans vie de Moussa je ne sais où en nous laissant complètement meurtris . Je pleurai toute la nuit.

Cela faisait trois jours que j’étais une fois de plus enfermé dans une petite pièce avec juste un lit. Je recevais un repas par jour et de l’eau. Je n’avais pas le droit de me laver et je devais supplier pour qu’on me conduise aux toilettes. C’est ainsi que j’essayai de m’enfuir un de ces jours profitant de l’inattention du gardien . Mais je ne suis pas loin. La maison était remplie d’hommes armés qui ne tardent pas à m’attraper et à me ramener dans ma cellule. J’étais désespéré et j’avais peur pour ma vie. Le lendemain, on me conduisit dans la cour et je fus saisi par des hommes.  Un autre arriva et commença à me donner des coups partout. Il avait le visage plein de haine. Après des minutes interminables de supplices, il s’arrêta et me chuchota à l’oreille en bon Français que je lui appartenait avant d’éteindre sa cigarette sur mon épaule. C’était extrêmement douloureux.

Je suis captive depuis un mois. Deux autres jeunes noirs ont été amenés après moi et ont subi le même sort. Il nous faisait travailler nuit et jour sans répit  et nous torturait pour  s’amuser . J’avais encore essayer de m’enfuir, je ne sais plus combien de fois et à chaque fois c’était un lamentable échec. 

Apparemment il fallait que nous payions pour acquérir notre liberté. La somme variait d’un jeune à un autre et selon le caprice de notre bourreau. Je me demandais comment cela était possible dans notre ère. Comment des hommes pouvaient-ils en vendre d’autres impunément? A bien y réfléchir, j’étais mieux chez moi. Je pensais avec un pincement au cœur à ma famille qui n’avait plus aucune nouvelle depuis tout ce temps. Ma mère, ma pauvre mère devrait être inconsolable. Mon seul souhait est de sortir d’ici et d’aller la retrouver . Le rêve européen est quasi mort chez moi. Je ne voulais pas me faire encore traiter aussi mal. J’ai subi l’horreur , je veux rentrer chez moi. 

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C’est dans les rues de Conakry que je décide de rencontrer et d’échanger avec des  jeunes à propos d’une thématique non les moindre qui les affecte directement . J’ai compris au fur du temps que nulle autre personne ne saurait parler d’immigration clandestine que ces jeunes adolescents ou adultes fougueux,  pleins de rêves ou que la vie a déçus.

Mercredi 7 Avril 2021 , munie de mon Android d’un bloc note et de mon petit sac à main je sors de chez moi déterminée.  Pour une question d’équité ou plutôt d’impartialité je quitte complètement mon quartier pour un autre assez éloigné. Je descends dans un quartier que je ne connais que très peu, ce qui est bien. Un regard autour pour m’imprégner de l’atmosphère qui m’entoure et à la recherche d’un éventuel interlocuteur. L’attente ne dure pas, j’aperçois bientôt un jeune homme qui devait avoir moins de dix-huit ans. Je l’arrête et le salue poliment en lui demandant s’il veut bien répondre à quelques-unes de mes questions. Il accepte volontiers en me regardant l’air un peu amusé.

“il n’y a pas d’espoir pour nous ici”

« Alors, Bouba as-tu déjà tenté la migration irrégulière ? » Bouba répond par la négative. Je ressens un genre de soulagement mais la question suivante est plus intéressante. « Es-tu tenté d’essayer » je lui demande. Bouba me regarde comme si je suis une folle , il rit et me répondit sans hésiter « oui , comme tous les autres jeunes » Je suis assez surprise de sa réponse mais je garde mon calme et lui demande « pourquoi » . Il jette un coup d’œil autour, puis me regarde et dit « pour quitter toute cette misère et réussir dans la vie , il n’y a pas d’espoir pour nous ici , mes études ne me serviront à rien je le sais ». Sa réponse me brise le cœur mais je la respecte. Je remercie Bouba et continue mon chemin. 

Plus loin, j’aperçois derrière une cour, une dizaine de jeunes assis autour d’une bouilloire de thé. Contente, je m’approche et les salue en souriant , ils me répondent aussi respectueusement. Après les présentations, je pose ma première question à savoir si l’un d’entre eux avait tenté l’aventure clandestine. Ils répondent chacun à leur tour que nom mais me parle d’un certain Karim qui avait tenté l’aventure et qui était revenu fou. Puis de trois autres de leurs amis qui avaient bien réussi et d’un qui était décédé en mer. J’acquiesce et les remercie pour leurs réponses. 

“Ce pays ne m’a rien offert de bon”

Je passe à la question suivante, un peu sur mes gardes. Un certain Brahim répond : « je suis un homme. Toute ma famille compte sur moi mais je ne peux rien,  je ne travaille pas. Là où tu me vois je suis diplômé , j’ai une licence en Banque et finance depuis deux ans maintenant mais aucune porte que j’ai frappé ne m’a été ouverte alors oui , oui je compte bien tenter l’aventure quand je serai prêt » Il a une certaine haine et une volonté dans les yeux je suis étonnée mais je le comprends. Mamadou quant à lui sourit et prend la parole « moi , je vais partir, je dois partir. Ce pays ne m’a rien offert de bon. J’ai perdu mon frère dans une des nombreuses manifestations qui ont sévi après les dernières élections et notre maison a été détruite il ya peu par l’État guinéen. Je n’ai plus rien alors oui je partirai ». Les yeux grands ouverts je ressens une profonde tristesse pour ce jeune brisé par la vie. Le troisième que j’interroge me répond qu’il ne sait pas, il n’y a encore jamais pensé. Hamid lui dit qu’il compte rester. «  C’est vrai que la vie ici n’est pas facile mais je préfère rester et me battre chez moi au lieu de me transformer en esclave en Libye  ou de périr dans la Méditerranée ». Les deux autres jeunes que j’interroge rejoignent Brahim et Mamadou. Je passe au jeune suivant qui répond en ces termes «  En vrai, moi je pars dans une semaine. Tout est déjà prêt. J’ai un plan et personne ne pourra m’empêcher de quitter cet endroit. » Il est déterminé,  je  n’en reviens pas. Je ressens une grande peur pour lui mais je décide de passer , et de revenir lui parler en privé. Les deux derniers à qui je tends le micro me disent qu’ils sont étudiants et qu’ils y croient encore sous les rires moqueurs de Brahim et Mamadou.

“Si je n’étais pas une fille , je tenterai sûrement l’aventure”

Je quitte ces jeunes le cœur meurtri. Je n’avais jamais pensé que la situation était aussi grave. Je continue mon petit bout de chemin sous le soleil ardent de Conakry. Il fait une chaleur à en étouffer un chameau. Sur une petite ruelle isolée, je rencontre Fatou une jeune femme d’une vingtaine d’années. Je lui pose les mêmes questions. Fatou pense que l’immigration irrégulière est un réel frein au développement de notre pays mais que les jeunes n’avaient pas trop le choix et étaient obligés de partir. « Si je n’étais pas une fille , je tenterai sûrement l’aventure mais j’ai trop peur » termine-t-elle.

Plus loin je rencontre Mady à qui j’explique en soussou les raisons pour lesquelles je l’arrête et lui prends quelques minutes de son temps. Il répond à mes questions en me disant qu’il ne pense pas partir car il doit s’occuper de sa pauvre mère qui n’avait que lui.

Je sillonne les rues de la ville des heures encore , interrogeant le maximum de jeunes que je peux et leurs réponses se ressemblent toutes autant les unes que les autres. Pour beaucoup d’entre eux partir est la seule issue d’autres pensent rester et travailler ici en Guinée.

Le soleil se couche petit à petit à l’horizon. Ma marche devient de plus en plus lente et fatiguée mais je ne peux me résoudre à rentrer ou à arrêter. J’ai envie d’entendre le plus de jeunes ce n’est qu’ainsi que j’arriverai à comprendre leur ressenti . Je décide de rentrer dans un petit café pour me désaltérer et continuer mon enquête. C’est heureuse que je sirote un petit verre de jus de fruit qui me fait un grand bien. Je ne tarde pas à le terminer et à rejoindre un groupe de jeunes à leur table.  Je me présente et eux aussi chacun à leur tour . Mes questions reviennent encore une fois. Malik qui prend la parole en premier, lui, avait déjà tenté l’aventure du Sahara et de la Méditerranée. Il me raconte son enfer, une pointe de tristesse dans la voix.  Il était arrivé à survivre dans le désert  , puis avait échappé aux kidnappeurs libyens et à la traversée pénible de la mer du milieu. Arrivé en Espagne il avait réussi à survivre et avait rejoint un camp d’immigrés. Il y était resté quelque temps puis avait rejoint la France , sa destination finale. C’est là que son rêve prit fin .Il se fit attraper puis rapatrier en Guinée où il dut tout reprendre à zéro. 

Je suis sorti de l’illusion

Son récit me fait froid dans le dos. Je n’ai pas le courage d’interroger plus de jeunes. Je prends congé d’eux et reprends la route pour la maison. Je marche le long de la rue, perdue. Ma journée a été riche en émotions mais enrichissante.  J’ai appris beaucoup de choses et ai ouvert les yeux sur tout plein de réalités que jusque- là j’ignorais.  

Pour moi , l’immigration clandestine n’était pas une priorité et n’affectait pas autant de jeunes mais j’avais tout faux malheureusement. Ces jeunes aspirent à une meilleure vie et surtout au changement mais ont été trop souvent déçus par un gouvernement qui manque de volonté. Leurs études ne leur servent pas à grand-chose ou à très peu. Le népotisme et le favoritisme font ravage dans l’administration et il ne leur reste souvent que le secteur informel où ils se battent tant bien que mal pour s’en sortir. Mais d’autres sont moins patients et se lassent très vite de ce cycle vicieux qui les empêche d’évoluer et de vivre plus dignement alors ils tentent l’aventure. Comme Malik , Mamadou, Brahim et tant d’autres, ces jeunes tenteront  tout pour sortir du pays et chercher une meilleure vie qui pour eux ne se trouve qu’en Occident. Mais quel prix devront-ils payer?

RAMATA BALDE

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