Partir ou rester ? Lettre à mon ami resté au pays
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Partir ou rester ? Lettre à mon ami resté au pays

Mon ami,

Mon rêve, c’était de faire une balade aux Champs-Élysées. Tu connais ? C’est à Paris, en France : mon pays de rêve. Partir en Europe, avoir une belle vie, une vie de star. J’ai beaucoup prié pour qu’il se réalise. Mais hélas, ce rêve si doux s’est transformé en cauchemar pour moi.

Partir ou rester ? J’ai longtemps hésité avant de faire mon choix. Mon petit commerce ne marchait plus comme avant et je n’espérais pas trouver un travail d’aussitôt. J’avais plein de projets qui demandaient de l’argent : je voulais mettre la famille à l’abri du besoin et me marier. Il n’y avait donc qu’une seule voie qui rendrait cela possible pour moi : partir en Europe.

Et aujourd’hui je remercie Dieu, j’ai ouvert les yeux et la poudre de perlimpinpin qui m’a aspergé commence enfin à se dissiper. C’était le plus terrifiant de tous les cauchemars que j’ai vécus depuis que je suis né. Et une fois de plus je me sens sauvé, car je m’étais embourbé jusqu’au cou !

Ceci n’est pas une lettre d’adieu, et je ne veux pas te faire peur. OK, juste un tout petit peu. Car de toi et moi, je suis de loin le plus costaud. Même au footing, tu n’arrivais pas à faire la moitié de la distance que je parcourais. Je dis ça, je dis rien…

Mais, par contre, je sais que tu es le plus futé d’entre nous. Et c’est pour cela que j’espère que tu me comprendras, comme tu l’as déjà fait auparavant. Je ne vais pas te mentir, jamais de la vie.

Demain je rentre au pays. Ne t’excite pas tout de suite, car je ne viens pas par avion. Je n’ai pas réussi à gagner l’Europe. Je suis actuellement à bord d’un bus de l’OIM en direction de Conakry.

Tel un film dramatique, j’ai vu ma vie défiler devant mes yeux. J’ai été en même temps l’acteur et le spectateur dans ce cauchemar que j’ai vécu. Si bien qu’à un moment donné je me suis écrié : « hé Dieu, qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?! ». Il fallait que je me débrouille pour m’en sortir dans des pays étrangers où je ne connaissais personne.

Je me souviens de cette traversée dans ce désert aride du Sahara. Je n’arrivais plus à m’orienter, partout où je regardais c’était le sable à perte de vue. Et la chaleur, cette chaleur qui nous asséchait littéralement. Mon vieux, même le peu d’eau qui était censée nous désaltérer était devenue chaude et nous brûlait la gorge. Sans oublier qu’il n’y avait rien à se mettre sous la dent à part quelques biscuits secs. J’ai vécu l’enfer là-bas et j’ai cru que j’allais y rester. Mais mon pote, ça n’était qu’une partie de la galère que j’ai vécue.

La faim, la soif et la fatigue, je m’y attendais et je pouvais l’accepter. Mais ce qui me ronge jusqu’à présent c’est la manière dont les autres migrants et moi avions subi une exploitation sans précédent. Nous avons été vendus, séquestrés, battus et exploités comme un troupeau de bétail par nos passeurs qui avaient créé toute une industrie d’exploitation de migrants comme moi.

Le chauffeur qui nous avait conduit à Bamako nous a vendu aux passeurs maliens qui à leurs tours nous ont refourgué aux Algériens qui en fin de compte nous ont livré au « gang algérien ». Tu imagines, « le gang algérien » ! Je n’ai jamais été membre d’aucun gang à Conakry, et me voilà dans les mains d’un gang en Algérie. D’ailleurs on ne peut pas comparer les gangs algériens à ceux de Conakry qui sont composés de jeunes adolescents à la fleur de l’âge. Ceux qui m’ont séquestré ici étaient plus âgées, en tout cas paraissaient plus matures que nos jeunes larbins de Conakry.

Enfin bref, il fallait payer de l’argent. Pour retrouver la liberté, il le fallait d’une manière ou d’une autre. Et si tu n’as pas d’argent, ils t’arrachaient tout objet de valeur. Certaines de nos sœurs étaient obligées de se vendre pour payer leurs passeurs. Rien que d’y repenser, ça me retourne le cœur !

Partir ou rester ? Si l’on me pose encore cette question je n’hésiterai plus un instant car je sais ce que j’ai enduré. Et si toi aussi tu te poses la même question, sache que je ne te conseillerais que la voie légale. Continue tes études, cherche une bourse ou trouves une personne de bonne volonté qui pourra te soutenir. Ne tombe pas dans le même piège que moi. Mon pote, l’aventure dans le désert, les prisons pour migrants ou encore les gangs algériens : moi je dis assez ! Je devais te prévenir, alors je t’ai écrit pour te conseiller. C’est mon seul cadeau que je peux t’offrir pour le moment.

Porte toi bien, mon ami.

Alpha Oumar Baldé

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