J’ai migré à tout prix, et maintenant ? revient sur la vie de Hamid, un jeune migrant guinéen, brillant et promis à un bel avenir mais qui, il y a 15 ans, a choisi une voie qui a fini par anéantir ses espérances.
Un voyage qui provoque déclic
Tout a commencé en 2002, lorsque son frère aîné, élève au second et très brillant aussi a réussi à profiter d’un voyage pour la France pour se faufiler et vivre dans la clandestinité. Une clandestinité qui l’a amené en Belgique puis aux Pays Bas où il vit depuis.
Passionné par cette sous-tendue prouesse de son frère aîné, le jeune Hamid, alors âgé de 16 ans et en classe de 9e, commence à nourrir le rêve, lui aussi, d’aller se construire une vie plus radieuse en Occident. Un rêve qui grandira au fil des années et qui deviendra la seule gouverne de toutes les actions posées par le jeune Hamid. Un rêve qu’il expose à chaque fois que l’opportunité lui est offerte, soit autour du thé, soit sur le terrain de foot, soit pendant les récréations à l’école.
En 2006, alors qu’il faisait la classe de terminale, grâce à la pénétration de la téléphonie mobile, il est régulièrement en contact avec son frère. Sans détour, le brillant jeune Hamid fait régulièrement part de son seul et unique rêve à son frère, celui d’aller en Occident. Une ambition que son frère au regard de son périple tentera de le dissuader pendant huit longues années. Mais en vain.
Parcours de combattant et enchantement
Après l’obtention de son diplôme de Licence, le jeune Hamid prend en 2014 la route du Maroc. Il restera dans le Royaume Chérifien pendant dix mois, jalonnés de souffrances marquées par la faim, les intempéries de la nature et des agressions physiques.
Avec à un réseau de passeurs, Hamid entame la traversée de la frontière marocaine pour l’Espagne. Une traversée qui durera des jours avec des affrontements avec les réseaux criminels et les forces de contrôle des frontières et autres péripéties. Soldée par la mort de deux d’entre eux, le périple se termine par la réussite de rejoindre clandestinement l’Espagne. Puis, il a pris la direction des Pays-Bas en traversant la France et la Belgique, où son frère aîné vit avec sa petite famille. Une fois arrivée à destination, il décroche comme pour boulot un poste d’agent de sécurité.
Etonné, le jeune Hamid se laisse persuader par l’idée selon laquelle la vie de son frère aîné est la résultante d’une incompétence et de manque d’audace de celui-ci. Et que lui par contre décrochera un excellent boulot et se construira dans les cinq prochaines années de gros immeubles dans son pays d’origine.
Les jours et les mois se succèdent, progressivement le rêve construit durant des années commence à se dissiper. Résolument engagé à ne pas baisser les bras, le jeune diplômé Hamid finit par décrocher en 2018 un boulot de plongeur dans un resto situé à 30Km de chez lui.
La descente aux enfers
Il vit seul dans un studio avec une surface qui fait la moitié de l’appartement qu’il occupait en famille en Guinée. Pire, son salaire ne peut faire le poids devant ce qu’il se faisait, rien que dans les commissions de la gestion du commerce de son père.
Face à cette vie jamais imaginée par le jeune Hamid, il décide de couper toute relation avec ses proches et de se refermer sur lui-même. Loin de la solution face à une telle descente aux enfers, il tombe dans la dépression. Une triste situation qui l’obligera à raccrocher son boulot de plongeur.
La recherche de la rédemption
Dans cette situation difficile, le jeune Hamid décide de reprendre contact avec un de ses meilleurs amis à travers une invitation envoyée via Facebook. Une invitation qui sera acceptée avec joie par son ami du fait d’avoir des nouvelles d’un ami qui est presqu’un frère pour lui.
Ainsi s’enchaînent des échanges téléphoniques réguliers pendant lesquels le jeune Hamid ne cesse de prendre des nouvelles des autres amis pour savoir comment ils vont et ce qu’ils sont devenus. Finalement, un samedi, avec une voix assez froide que d’habitude, le jeune Hamid finit par se confier à son ami en ces termes :
- Man, tu te rappelles depuis que j’ai commencé à rêver de l’occident et à vous faire croire que notre réussite réside là ?
-Tout froid, son ami lui répond
– Oui man, on faisait la 10ème et c’était sous le manguier.
– Man, sais-tu que j’ai frôlé la mort pour me retrouver ici ?
– Non man, répond son ami resté au pays, tu me l’avais pas dit. Mais, Dieu merci, tu es encore vivant.
– Man, j’ai fait des jours sans manger au Maroc, j’ai failli mourir lors de la traversée, d’ailleurs deux de mes compagnons d’infortune ont y laissé la vie., J’ai renié mon diplôme qui aurait pu me servir, j’ai abandonné mes parents qui avaient besoin de moi, j’ai tourné le dos à vos histoires drôles et taquins … Bref, j’ai migré à tout prix., imagines la suite (…) Man, pour devenir plongeur dans un resto,. penses-tu que j’ai été d’un cœur impur pour mériter ce sort ?
– Non bro, tu as été brillant, rassembleur et gentil et d’ailleurs très fort, le réconforte son pote.
– Man, je ne suis plus cette personne, je n’ai plus cette force de me battre, ma vie est scellée, je n’ai été qu’un fou rêveur. Aujourd’hui, je me réveille de mon cauchemar et j’accepte mon sort, je ne me battrai plus.
– Bro, tu dois te battre, lui conseille son ami, et tu te battras parce que tu es un guerrier…
Combien de rêves brisés ?
Aujourd’hui, il y a des milliers de Hamid dispersés dans les pays de l’occident qui attendent de la grâce divine pour sortir du désenchantement. Il y a des millions de Hamid qui se préparent pour confronter les risques de la Méditerranée à la recherche d’un monde meilleur.
Il y a de quoi tirer la sonnette d’alarme, il y a de quoi agir, il y a de quoi faire passer un message.
A nous de jouer notre partition pour dire clairement et simplement que la migration irrégulière n’est pas la solution et elle ne saura l’être.
Félix Dounia Millimono