Pourquoi les jeunes veulent-ils partir à tout prix? Échanges avec des “jeunes du quartier”
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Pourquoi les jeunes veulent-ils partir à tout prix? Échanges avec des “jeunes du quartier”

C’est dans les rues de Conakry que je décide de rencontrer et d’échanger avec des  jeunes à propos d’une thématique non les moindre qui les affecte directement . J’ai compris au fur du temps que nulle autre personne ne saurait parler d’immigration clandestine que ces jeunes adolescents ou adultes fougueux,  pleins de rêves ou que la vie a déçus.

Mercredi 7 Avril 2021 , munie de mon Android d’un bloc note et de mon petit sac à main je sors de chez moi déterminée.  Pour une question d’équité ou plutôt d’impartialité je quitte complètement mon quartier pour un autre assez éloigné. Je descends dans un quartier que je ne connais que très peu, ce qui est bien. Un regard autour pour m’imprégner de l’atmosphère qui m’entoure et à la recherche d’un éventuel interlocuteur. L’attente ne dure pas, j’aperçois bientôt un jeune homme qui devait avoir moins de dix-huit ans. Je l’arrête et le salue poliment en lui demandant s’il veut bien répondre à quelques-unes de mes questions. Il accepte volontiers en me regardant l’air un peu amusé.

“il n’y a pas d’espoir pour nous ici”

« Alors, Bouba as-tu déjà tenté la migration irrégulière ? » Bouba répond par la négative. Je ressens un genre de soulagement mais la question suivante est plus intéressante. « Es-tu tenté d’essayer » je lui demande. Bouba me regarde comme si je suis une folle , il rit et me répondit sans hésiter « oui , comme tous les autres jeunes » Je suis assez surprise de sa réponse mais je garde mon calme et lui demande « pourquoi » . Il jette un coup d’œil autour, puis me regarde et dit « pour quitter toute cette misère et réussir dans la vie , il n’y a pas d’espoir pour nous ici , mes études ne me serviront à rien je le sais ». Sa réponse me brise le cœur mais je la respecte. Je remercie Bouba et continue mon chemin. 

Plus loin, j’aperçois derrière une cour, une dizaine de jeunes assis autour d’une bouilloire de thé. Contente, je m’approche et les salue en souriant , ils me répondent aussi respectueusement. Après les présentations, je pose ma première question à savoir si l’un d’entre eux avait tenté l’aventure clandestine. Ils répondent chacun à leur tour que nom mais me parle d’un certain Karim qui avait tenté l’aventure et qui était revenu fou. Puis de trois autres de leurs amis qui avaient bien réussi et d’un qui était décédé en mer. J’acquiesce et les remercie pour leurs réponses. 

“Ce pays ne m’a rien offert de bon”

Je passe à la question suivante, un peu sur mes gardes. Un certain Brahim répond : « je suis un homme. Toute ma famille compte sur moi mais je ne peux rien,  je ne travaille pas. Là où tu me vois je suis diplômé , j’ai une licence en Banque et finance depuis deux ans maintenant mais aucune porte que j’ai frappé ne m’a été ouverte alors oui , oui je compte bien tenter l’aventure quand je serai prêt » Il a une certaine haine et une volonté dans les yeux je suis étonnée mais je le comprends. Mamadou quand à lui sourit et prend la parole « moi , je vais partir, je dois partir. Ce pays ne m’a rien offert de bon. J’ai perdu mon frère dans une des nombreuses manifestations qui on sévit après les dernières élections et notre maison a été détruite il y’a peu par l’État guinéen. Je n’ai plus rien alors oui je partirai ». Les yeux grands ouverts je ressens une profonde tristesse pour ce jeune brisé par la vie. Le troisième que j’interroge me répond qu’il ne sait pas, il n’y a encore jamais pensé. Hamid lui me dit qu’il compte rester. «  C’est vrai que la vie ici n’est pas facile mais je préfère rester et me battre chez moi au lieu de me transformer en esclave en Libye  ou de périr dans la Méditerranée ». Les deux autres jeunes que j’interroge rejoignent Brahim et Mamadou. Je passe au jeune suivant qui répond en ces termes «  En vrai, moi je pars dans une semaine. Tout est déjà prêt. J’ai un plan et personne ne pourra m’empêcher de quitter cet endroit. » Il est déterminé,  je  n’en reviens pas. Je ressens une grande peur pour lui mais je décide de passer , et de revenir lui parler en privé. Les deux derniers à qui je tends le micro me disent qu’ils sont étudiants et qu’ils y croient encore sous les rires moqueurs de Brahim et Mamadou.

“Si je n’étais pas une fille , je tenterai sûrement l’aventure”

Je quitte ces jeunes le cœur meurtri. Je n’avais jamais pensé que la situation était aussi grave. Je continue mon petit bout de chemin sous le soleil ardent de Conakry. Il fait une chaleur à en étouffer un chameau. Sur une petite ruelle isolée, je rencontre Fatou une jeune femme d’une vingtaine d’années. Je lui pose les mêmes questions. Fatou pense que l’immigration irrégulière est un réel frein au développement de notre pays mais que les jeunes n’avaient pas trop le choix et étaient obligés de partir. « Si je n’étais pas une fille , je tenterai sûrement l’aventure mais j’ai trop peur » termine-t-elle.

Plus loin je rencontre Mady à qui j’explique en soussou les raisons pour lesquelles je l’arrête et lui prends quelques minutes de son temps. Il répond à mes questions en me disant qu’il ne pense pas partir car il doit s’occuper de sa pauvre mère qui n’avait que lui.

Je sillonne les rues de la ville des heures encore , interrogeant le maximum de jeunes que je peux et leurs réponses se ressemblent toutes autant les unes que les autres. Pour beaucoup d’entre eux partir est la seule issue d’autres pensent rester et travailler ici en Guinée.

Le soleil se couche petit à petit à l’horizon. Ma marche devient de plus en plus lente et fatiguée mais je ne peux me résoudre à rentrer ou à arrêter. J’ai envie d’entendre le plus de jeunes ce n’est qu’ainsi que j’arriverai à comprendre leur ressenti . Je décide de rentrer dans un petit café pour me désaltérer et continuer mon enquête. C’est heureuse que je sirote un petit verre de jus de fruit qui me fait un grand bien. Je ne tarde pas à le terminer et à rejoindre un groupe de jeunes à leur table.  Je me présente et eux aussi chacun à leur tour . Mes questions reviennent encore une fois. C’est Malik qui prend la parole en premier, lui, avait déjà tenté l’aventure du Sahara et de la Méditerranée. Il me raconte son enfer, une pointe de tristesse dans la voix.  Il était arrivé à survivre dans le désert  , puis avait échappé aux kidnappeurs libyens et à la traversée pénible de la mer du milieu. Arrivé en Espagne il avait réussi à survivre et avait rejoint un camp d’immigrés. Il y était resté quelque temps puis avait rejoint la France , sa destination finale. C’est là que son rêve prit fin .Il se fit attraper puis rapatrier en Guinée où il dut tout reprendre à zéro. 

Je suis sorti de l’illusion

Son récit me fait froid dans le dos. Je n’ai pas le courage d’interroger plus de jeunes. Je prends congé d’eux et reprends la route pour la maison. Je marche le long de la rue, perdue. Ma journée a été riche en émotions mais enrichissante.  J’ai appris beaucoup de choses et ai ouvert les yeux sur tout plein de réalités que jusque- là j’ignorais.  

Pour moi , l’immigration clandestine n’était pas une priorité et n’affectait pas autant de jeunes mais j’avais tout faux malheureusement. Ces jeunes aspirent à une meilleure vie et surtout au changement mais ont été trop souvent déçus par un gouvernement qui manque de volonté. Leurs études ne leur servent pas à grand-chose ou à très peu. Le népotisme et le favoritisme font ravage dans l’administration et il ne leur reste souvent que le secteur informel où ils se battent tant bien que mal pour s’en sortir. Mais d’autres sont moins patients et se lassent très vite de ce cycle vicieux qui les empêche d’évoluer et de vivre plus dignement alors ils tentent l’aventure. Comme Malik , Mamadou, Brahim et tant d’autres, ces jeunes tenteront  tout pour sortir du pays et chercher une meilleure vie qui pour eux ne se trouve qu’en Occident. Mais quel prix devront-ils payer?

Ramata Baldé

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